D.eux

Elles étaient deux sur la route à se tenir la main,
Deux accroupies au bord du chemin
A regarder le même caillou luire après la pluie du matin.
Elles étaient deux à regarder au loin,
Deux à rire parce que c'était mieux que de se laisser pétrir par le chagrin.
C'était mieux pour ne pas se laisser envahir par les herbes folles du Rien.
Deux à crever de l'indifférence autour et des bords des ravins.
Elles étaient deux et n'avaient plus que trois mains,
Et la force d'un levier pour soulever le bouclier posé sur leurs demains.

Au neuvième matin, le jour les a trouvées déliées.
La nuit avait fini son tour, d'autres horizons se dévoilaient.
Au petit jour elles se sont regardées, étonnées.
Elles avaient quatre mains.
Et les pieds sur d'autres chemins.
Chacune le sien.

La petite fille & la fOrêt

La petite fille marchait pieds nus dans la forêt sans écouter les cris de ses pieds heurtés, abîmés. Elle s'en fichait, elle savait juste qu'elle ne pouvait pas se poser. Pas encore, pas tout de suite.
Il faudrait des mille et des miles encore, de la distance, du temps, du vent, de la neige et de la grêle, du soleil et de l'ondée, des saisons et des saisons, pour caresser à nouveau, pour caresser peut-être, la douceur des temps partagés.

On lui avait montré la vitre et son carreau cassé, on lui avait montré la porte au grillage tressé si petit et disloqué qu'il lui fallait traverser. Et ne plus se retourner. Foutre la paix à ses vivants, et se repaitre seule des fantômes avaleurs qu'elle avait pressés.

On avait montré du doigt qu'il fallait qu'elle foute le camp, qu'elle taille la route. Une route souterraine.

Qu'elle soit discrète. Elle ne savait pas vraiment faire, elle se voyait en trop grand partout. Alors elle se planquait. Dans la forêt de ronces ou pas, et tant pis pour les épines.
Qu'elle rejoigne la foule anonyme, en sous-face plutôt qu'en surface. Elle ne savait pas vraiment faire. Alors elle rendait ce qui avait été partagé, sans tenir compte de ce qui la constituait. Parce qu'elle ne savait pas démêler cet écheveau et rester debout comme si de rien n'était. Comme si de rien n'avait été.

Elle apprenait à se conjuguer au passé composé. Avant de rejoindre le plus-que-parfait. Peut-être.

C.achette

Aujourd'hui, je ne sais plus comment me cacher, se chuchote-t-elle au creux de l'oreille, le cœur en un instant vrillé par les regrets.

C.aillasse

Seule sur son caillou qui fait rocher, elle regarde la flaque à ses pieds.
Dans son dos, elle reçoit de la petite caillasse. De celle qui n'entaille pas, mais qui fait des bleus qui grandissent. Des mots, des regards, un doigt dénonciateur.

Seule sur son caillou, assise, elle entend dans son dos les railleries et les hou moqueurs.
S'il n'y a plus, c'est qu'elle n'a pas su. S'il n'y a plus, c'est qu'elle ne s'est pas battue. S'il n'y a plus, c'est qu'elle ne s'est pas donné beaucoup de peine, n'est-ce pas ?

Mais quel danger est-elle, quelle menace, pour que sa souffrance et son tourment apaisent la horde autour d'elle ?
Les failles sur son chemin serviraient ainsi de preuves à la validité des autres routes ?
Fallait-il qu'elle se trompe pour qu'ils aient raison ? Comme s'il n'y avait qu'une seule vérité, et qu'il était de toutes manières hors-de-question qu'elle en détienne la moindre parcelle.

Seule sur son caillou qui fait rocher, elle regarde la flaque à ses pieds.
Et soudain elle ne sait plus comment s'envisager.

L.ucille

Lucille se sent coquille fragile, coquille fêlée. Si on la cassait, elle sait bien qu'on trouverait alors un jaune moisi. Moisi de vieux moisi, de poilu-vert-de-gris qui donne des hauts-le-cœur.
Alors Lucille remonte à deux mains au-dessus de la ceinture sa coquille glissante. Elle retient ses mots pour ne pas appesantir l'air de son haleine fétide, forcément fétide.

S.irène

Sirène sur son rocher n'était pas fière.
Elle ne pouvait pas dire qu'on ne mesurait pas sa peine, elle trouvait ça présomptueux.
Elle ne voulait pas risquer de faire mentir ce qu'elle avait estampillé de ses convictions jusque là, or c'était parfois si compliqué à dire avec précision. Et tellement de contresens se truchaient dans le creux des mots qu'elle choisissait.
Il y avait bien une oreille ou deux auprès desquelles elle n'avait pas à s'inquiéter des filtres. Une Baleine et un petit Point qui ne loupaient rien. Ses compagnons de voyage. C'était précieux.
Comment osait-elle alors éprouver tant de peine ?

H.orlogette

Elle se souvenait d'une vieille mécanique. Elle se disait qu'en répétant minutieusement ces mêmes gestes, alors peut-être que ça reviendrait. Et qu'en attendant ça tiendrait bien, ou à peu près.
Si elle s'appliquait, on pourrait la croire vivante encore.
Et peut-être qu'un jour sa foi fatiguée se serait assez reposée, assez pour épouser à nouveau le mouvement. Peut-être.
Ce serait peut-être une idée d'essayer.
C'était un peu dur, bien sûr. En attendant c'était mentir, tromper, duper.
Mais de toutes manières, n'était-elle pas coincée ?

C.onstance

Elle était proue en son domaine,
Figure, vaisseau et capitaine,
Elle était proue, elle était déesse,
Elle s'enivrait de la drôlerie des bords de mer,
Elle chevauchait les plaines,
Elle coursait les déserts,
Elle fermait les yeux et se rêvait reine.
Elle rêvait haut, elle pleurait bas,
Elle chuchotait ses peines,
Parfois elle ne pipait pas,
Pas un mot.
Elle écrivait tout bas,
Des mots qui formaient des ruisseaux.
Elle rêvait beau,
Elle ne tremblait pas.
Constance au petit jour aimerait bien passer son tour.

aRmure

Petite Chevalière a voulu faire la guerre sans son heaume. La guerre à visage et à corps découverts. Une guerre, un combat qui ne disait pas son nom.
Devant tant de tracas, qui malgré les angles et les entrechats ne bougeaient pas, Petite Chevalière haussa les épaules. Elle se dépeça de ses derniers bouts d'armure, elle n'en voulait plus. Elle déposa les armes et tourna le dos.

A.igrette

Aigrette aigrelette brinquebalée par le vent se balade, visite, regarde de haut, de loin.